Wednesday, April 06, 2005

L'Horloge

Horloge! dieu sinistre, effrayant, impassible,
Dont le doigt nous menace et nous dit :"Souviens-toi!
Les vibrantes Douleurs dans ton coeur plein d'effroi
Se planteront bientôt comme dans une cible;

Le Plaisir vaporeux fuira vers l'horizon
Ainsi qu'une sylphide au fond de la coulisse ;
Chaque instant te dévore un morceau du délice
A chaque homme accordé pour toute sa saison.

Trois mille six cent fois par heure, la Seconde
Chuchote : "Souviens-toi!-Rapide, avec sa voix
D'insecte, Maintenant dit : Je suis Autrefois
Et j'ai pompé ta vie avec ma trompe immonde!

Remember !Souviens-toi !prodigue !esto memor !
(Mon gosier de métal parle toutes les langues)
Les minutes, mortel folâtre, sont des gangues
Qu'il ne faut pas lâcher sans en extraire l'or !

Souviens-toi que le temps est un joueur avide
Qui gagne sans tricher, à tout coup ! c'est la loi.
Le jour décroît; la nuit augmente; souviens-toi!
Le gouffre a toujours soif; la clepsydre se vide.

Tantôt sonnera l'heure où le divin Hasard,
Où l'auguste Vertu, ton épouse encor vierge,
Où le Repentir même (oh!la dernière auberge!)
Où tout te dira : Meurs, vieux lâche ! il est trop tard."

Baudelaire, Les Fleurs du Mal
Spleen et Ideal, "l'Horloge"

No comments: